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11 avril 2006 2 11 /04 /avril /2006 18:24
Guillaume Tirel dit Taillevent, dont nous avons parlé dans un précédent article, nous amène tout naturellement à nous pencher sur la littérature (dans un premier temps) puis sur l’art culinaire au « moyen-âge ». Vaste période qui s’étend du Ve au XVe siècle. On imagine que pendant ces dix siècles, la cuisine a évolué. On connaît peu la façon de se nourrir avant le XIIIe siècle, faute de témoignage écrit. On peut simplement dire que l’art de la cuisine s’est beaucoup inspiré de la gastronomie gallo-romaine et a été influencé par les traditions culinaires de tous les pays qui nous entouraient (les aliments étaient les mêmes, gibier, légumes tels que les choux, carottes, les fèves, les fruits secs, noix et amandes, le miel qui remplaçait le sucre etc...), on retrouve des plats traditionnels qui ont perduré de nos jours, viandes en sauce (ragoûts, bortsch…), choucroute, pot-au-feu, poule au pot.

 
La cuisine romaine restait une référence au moyen-âge, la tradition orale en évoquait encore la richesse et le raffinement, ce qui poussa sans doute les moines (qui n’étaient pas en reste en matière de gourmandise et qui étaient particulièrement bien placés pour les travaux de plume) à sauver et retranscrire le traité d’Apicius avec des adaptations tenant compte des goûts, des aliments et d’un mode de vie différents.

 
Marcus Gavius Apicius (environ 25 av JC-37 ap JC) était un grand gastronome romain, inventant sans cesse de nouvelles et coûteuses recettes où le raffinement le disputait à l’excentricité (langues de flamants roses, foies gras de porc et d’oies engraissés aux figues…). Cité  par Tacite, Pline et Sénèque, il fût l’auteur des plus anciens recueils de cuisine que nous connaissons (sous forme d’une retranscription datant du IVe siècle) parus à son époque sous différents titres Ars Magirica, Apicius Culinaris, De re coquinaria, De Condituris (dédié aux sauces). Il organisa de somptueux banquets où il dilapida sa fortune, au point qu’il mit fin à ses jours, en s’empoisonnant, lors d’un dernier banquet. Sa fortune épuisée, il ne supportait pas de renoncer à son train de vie, et de ne plus pouvoir créer dans son art.

Marcus Gavius Apicius

 

A partir du règne de Philippe le Bel apparurent les premiers livres de cuisine en latin :

    - Le Tractatus de modo preparandi et condiendi omnia ciberia, recueil de 80 recettes classées en 5 chapitres, probablement d’origine ecclésiastique, écrit vers 1300 voire avant.

    - Le Liber de coquina, recueil de 172 recettes classées en 5 chapitres, d’inspiration italienne (on y trouve des recettes semblables à celles du Il libro della cucina del secolo XIV de Zambini), écrit à la même époque que le Tractatus cité précédemment. Sont décrites diverses recettes de raviolis, lasagnes, crozets et même une recette à base de fromage de Brie. On y lit également des recettes catalanes et andalouses.

Puis commencèrent à circuler des ouvrages de cuisines en (vieux) français :

    - Le Livre fort excellent de cuisine (très utile et profitable contenant en soi la manière d’habiller toutes viandes avec la manière de servir les banquets et festins, le tout vu et corrigé outre la première impression par le Grand Ecuyer de Cuysine du Roy).

    - Le Viandier de Taillevent (voir l'article le concernant)

    - Le Mesnagier de Paris  (Livre d’économie domestique qu’un bourgeois de Paris écrivit vers 1393 pour sa jeune épouse inexpérimentée, avec dans la dernière partie du recueil diverses recettes de cuisine, souvent inspirées du Viandier de Taillevent).



Moins connus, deux manuscrits écrits en anglo-normand, contenant environ 20 recettes chacun, ont été retrouvés à Londres à la British Library. Ils dateraient du milieu du XIIIe au début du XIVe siècle. Influencés par la cuisine arabe, ils traitent de cuisine « guerrier retour des croisades ». Ces recueils auraient servi de modèle à l’ouvrage anglais Doctrina faciendi diversia cibaria (vers 1325).

 
Un siècle plus tard, il y eut Le Recueil de Riom ou la manière de henter soutillement (écrit vers 1466 par un bourgeois ou un petit noble auvergnat) contenant dans une première partie des recettes différentes de celles de Taillevent, et une  deuxième partie dédiées aux greffes.

 
De nouveau un siècle plus tard, le Livre de cuysine tresutile et proufittable, publié en 1542 à Lyon rassemblant ces ouvrages :

    - Petit Traicte auquel verrez la maniere de faire cuisine (vers 1536 contenant 133 recettes)

    - Livre de cuysine tres utile et proufittable (1538 contenant 200 recettes supplémentaires)

    - La Fleur de toute cuisine (1540 ou 1541 contenant plus de 150 recettes du siècle précédent)

Et Le Grand Cuisinier de toute cuisine (1542) réédité en 1588 et 1602 sous le titre Le livre de honneste volupté.

 
Cette liste de recueils médiévaux n'est bien évidemment pas exhaustive mais nous donne un aperçu en la matière. Ces ouvrages (pour les plus anciens) étaient dans un premier temps, recopiés à la main, des exemplaires circulaient chez les riches bourgeois et les nobles du royaume. Au XVIe siècle, on commence à imprimer les livres de cuisines. Une première édition du Viandier de Taillevent paraît en caractères gothiques en 1490. Onze autres éditions verront le jour jusqu’en 1520. Par contre le Mesnagier de Paris ne fut publié qu’en 1846 (par le baron Jérôme Pichon).


Toute cette littérature éclaire d’un jour nouveau l’art culinaire au moyen-âge. Les temps n’étaient pas si frustres et on savait apprécier la bonne chair. Notre cuisine actuelle, riche et variée, reconnue dans le monde entier, puise son héritage dans ces temps reculés.
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